Le point "Désolée"
Cela faisait des semaines que lui et moi échangions des mails et sms sertis de taquineries mais aussi de formules comme "tendrement", "affectueusement", "plein de bisous" et autres mots doux. Les moments où je ne pensais pas à lui se faisaient rares, c'est le moins qu'on puisse dire! Et au vu des regards et sourires que lui me lançait, tout portait à croire que je pouvais lui faire les yeux doux sans le faire vomir.
Ce qui devait arriver arriva. Ce qui ne pouvait plus être évité s'est produit lors de notre troisième corvée.
Cette fois, nous nous sommes installés dans un autre endroit. Nous étions allés dans le même café les deux fois précédentes, il était temps de changer un peu. J'étais bien décidée à ne pas le laisser payer cette fois, ne serait-ce que pour l'emm... le contrarier. (Une chieuse? Moi? Jamais de la vie!)
Nous avons de nouveau parlé boulot, puis la conversation a dérivé vers ce que nous avions fait le week end passé avant de tomber sur les messages qu'on avait pris l'habitude de s'envoyer. Nous les qualifiions de "sympathiques". Sacré cas de litote!
Au fur et à mesure que les minutes défilaient, je tâchais de calmer mes boyaux qui se croyaient contorsionnistes et faisaient de sacrés noeuds! Encore plus qu'à l'ordinaire. Et lui ne faisait rien pour arranger les choses ...
Je lui parlai de ces incommensurables corvées que nous nous étions farcies ces dernières semaines. Lui aussi avait du mal à les supporter mais gardait le sourire. Je lui rappelai que si je l'ennuyais, il fallait me le dire. Si cela l'embêtait de prendre un café avec moi, il ne fallait pas se forcer. Surtout quand on avait quelque chose de prévu juste après.
"-ça ne fait rien. J'avais envie de te voir."
Mes pauvres tripes...
Nous n'avons malheureusement pas pu rester longtemps. Au moment de nous séparer, je dégainai mon porte-feuille plus vite que mon ombre et réglai nos deux commandes.
"-ça ne me plaît pas.
-Vous croyez que ça me plaît quand vous réglez pour moi?
-Normalement, c'est à l'homme d'inviter.
-Si vous saviez ce que je m'en fous."
Nous quittâmes le café. J'habitais dans le coin, je le raccompagnai un peu plus loin tandis que mes tripes continuaient de faire la java. Je n'en pouvais plus. C'était maintenant ou jamais. Au moment de nous séparer, il se pencha vers moi pour me faire la bise en glissant son bras autour de ma taille. N'y tenant plus et sans avoir l'impression de contrôler quoi que ce soit, je passai les miens autour de son cou et le serrai contre moi. Mon cerveau a mis une seconde ou deux à réaliser ce qui se passait...
"-Désolée, soufflai-je sans le lâcher pour autant.
-Ne le sois pas. J'en avais autant envie que toi."
J'ai bien cru que mes fichues tripes allaient se déchirer à force de se tordre quand j'ai senti à mon tour ses bras autour de moi.
"-J'ai tant la côte que ça?"
Ayant pour habitude de ne pas répondre aux questions débiles, je gardai le silence. Je cédai à cette impulsion qui me tarabustait depuis des mois et l'embrassai. (rien que d'y penser et de retranscrire cet instant quelques semaines plus tard, j'en ai encore des frissons...)
Je ne voulais plus le lâcher. Je serais rester là pendant des heures; le monde pouvait s'écrouler je m'en foutais royalement. Lui non plus, son étreinte autour de moi ne se relâchait pas. Mais il allait bien falloir nous séparer. Après quelques minutes, je le relâchai à contre coeur. Nous avons décidé de nous revoir la semaine suivante.
Le retour à la réalité a été rude. Je manquai de bousculer une petite vieille en faisant demi-tour pour rentrer chez moi.
Je parvins finalement à regagner mon studio sans bousculer ni écraser personne. J'étais tellement à côté de la plaque que me farcir mes 4 étages habituels ne me fatigua même pas cette fois-ci.
Je réalisai un peu plus tard qu'on s'était embrassés dans la rue près d'une bouche d'égout... Et que je m'étais excusée en le serrant dans mes bras. Depuis, cette bouche d'égout s'appelle pour nous le point Désolée...